Le sommelier est un passeur d’émotions
Dimanche dernier une cliente confie à notre sommelier, François Lhermitte le choix du vin. « Je voudrais un vin d’émotion, qui raconte une histoire», précise celle qui appartient au noble métier de la terre.
Le sommelier se rend en cave et remonte avec un flacon empreint d’une histoire émouvante. Il choisit Laurent Vaillé, fondateur avec son frère Bernard du domaine de La Grange des Pères à Aniane, décédé 30 avril 2021 d’un accident sur son exploitation. Il avait 57 ans. François Lhermitte rend hommage à sa vie à son travail tout en plaçant l’accord avec le plat du chef, la sauce aux épices douce de l’agneau Terroir d’Alsace. « J’ai pu le rencontrer une fois. Avec simplicité Laurent Vaillé m’a permis de découvrir l’histoire de son terroir. J’ai confié mon respect de son métier, de son travail de la terre et sa générosité ».
Un silence retentit à table. Avec réserve et pudeur, une larme coule.
«Cela fait 7 mois que nous n’étions pas allés au restaurant. Cette soirée était déjà tout un symbole, mais le choix de ce vin, de cet hommage et de ces mots, nous plongent dans une émotion. Merci François. Cette soirée sera inoubliable. Joyeuse et triste à la fois. »
En second choix, François Lhermitte propose en accord avec Ministre impérial 2015 du domaine Jean-Charles Abbatucci, dont un incendie vient de ravager son domaine. «L’ensemble de son travail, de sa vie et de son œuvre est parti en fumée. Soudainement. Sa première volonté est de tout reconstruire. Je ne peux que respecter l’homme et sa volonté d’aller de l’avant. »
Enfin mes pensées s’adressent à la famille de Dominique Belluard qui a mis fin à ses jours hier le 17 juin 2021. Ce grand vigneron savoyard possédait un domaine d’une vingtaine d’hectares seulement, mais réputé dans le monde entier. J’ai eu l’opportunité me rendre chez lui en 2016 pour déguster et comprendre ses vins, mais surtout pour découvrir un homme formidable par sa gentillesse et par sa connaissance sur le Gringet cépage très particulier de Savoie. Dès ce soir, je mettrai sa cuvée Le Feu 2017 sur notre carte des vins au verre. Ainsi, ces prochains jours, je lui rendrai hommage, faisant déguster son travail et inscrire son nom de grand vigneron dans la mémoire collective. Je suis extrêmement touché par ce drame. Je sais à quel point le monde du vin fut aussi touché et impacté que celui de la restauration pendant cette pandémie.
Le monde de la vigne, de la sommellerie et de la gastronomie est endeuillé.
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Le travail de la brigade de la salle ne se limite pas à réciter l’intitulé du plat. Son expertise, sa culture culinaire conjuguée à sa fine connaissance de la trajectoire de la maison, du parcours du chef, lui permet d’expliquer la création de la recette, la construction d’une assiette, la provenance d’un produit, le travail de l’agriculteur, de l’éleveur du maraicher, puis de la transformation de l’ensemble des éléments, par le bais de la technique et du savoir-faire du cuisinier.
Le sommelier déteint le savoir de la vigne et des vignerons. Il fait déguster un vin, non seulement en commentant les sols, les climats, la géologie, mais aussi en témoignant d’une philosophie, des valeurs, d’un travail accompli, des difficultés d’un millésime, d’une famille, d’une dynastie, des distinctions et d’un savoir-faire. Se rendant au domaine pour déguster, le sommelier témoigne aussi d’une rencontre humaine, de la sensibilité de ces Hommes de vins. Avec parcimonie et justesse, il étaye des propos pour donner vie à cette œuvre éphémère. Il a la faculté de donner vie et émotion à une dégustation.
Quand le sommelier fait le choix d’un vin, il livre une part de lui-même, ses préférences, ses gouts, ses valeurs, son histoire personnelle avec les vignerons, mais aussi ce qui l’émeut et ce qui le touche intrinsèquement.
Le vin est vecteur de partages et d’émotions..
Par Sandrine Kauffer-Binz