Il suffit parfois d’un plat pour résumer l’esprit d’une maison. Le  Croq’truite est servi comme un clin d’œil entre tradition alsacienne et modernité gourmande.

D’apparence presque ludique, il se présente comme un sandwich raffiné, pris entre deux toasts délicatement teintés à l’encre de seiche, mais servi avec des couverts dorés martelés, comme pour rappeler que l’on reste ici dans l’univers du grand raffinement. Le Croq’truite surprend d’abord par son esthétique : un jeu de contrastes entre le noir profond du pain, le nacré de la mousseline et les reflets orangés des œufs de truite qui le parent de mille éclats.

La dégustation révèle un équilibre d’une précision remarquable. Au cœur, la truite, issue de la pisciculture de François Guidat à Orbey et aujourd’hui confiée aux soins attentifs de sa fille Nathalie, se déploie sous la forme d’une mousseline fine et onctueuse. Une cuisson à basse température, un souffle de crème fraîche, un blanc d’œuf discret, et voilà une texture aérienne qui caresse le palais. Sur ce velours se dépose un gel citron, à la fois vif et lumineux, constellé d’œufs de truite qui éclatent sous la dent comme autant de petites vagues iodées.

Puis vient le liant, ce fil conducteur qui relie la composition : un beurre blanc au Riesling Kaefferkopf. La réduction du vin, longuement infusée aux échalotes, se fait tendre avec l’ajout de crème, avant d’être montée au beurre pour offrir une suavité presque enveloppante. C’est une sauce qui ne domine pas, mais qui sublime, révélant la chair de la truite tout en lui apportant un souffle d’élégance vineuse.

En contrepoint, la crème de raifort signée Raifalsa-Alélor, maison alsacienne dont la réputation n’est plus à faire, apporte ce trait de caractère qui vient équilibrer la douceur. À Mietesheim, l’art du condiment se transmet comme une signature, et dans ce Croq’truite, il se traduit par une touche franche, relevée, qui stimule les papilles sans jamais les brusquer.

L’accord avec un Riesling Grand Cru Kaefferkopf 2022 du Domaine Maurice Schoech s’impose comme une évidence. Le vin, à la fois droit et lumineux, offre une acidité ciselée qui rafraîchit le palais et souligne la délicatesse du beurre blanc. Sa profondeur minérale prolonge chaque bouchée et fait de ce mariage une véritable harmonie.

Entre la convivialité suggérée par la forme et l’exigence incarnée par la réalisation, le Croq’truite raconte bien plus qu’une recette : il exprime l’âme de cette table, où l’innovation se nourrit du terroir et où la gourmandise se conjugue avec la justesse. C’est un plat qui, derrière sa simplicité apparente, cache une maîtrise rare et une volonté d’ouvrir un dialogue sincère entre la tradition et l’audace.

Par Sandrine Kauffer-Binz