Tradition évolutive dans les assiettes
Anne Vouaux 08/12/2015 – Journal L’Alsace
L’idée lui trottait dans la tête depuis quelque temps, mais c’est cette année que le chef Julien Binz, ancien chef étoilé du Rendez-vous de chasse à Colmar, ouvre son propre restaurant à Ammerschwihr, mi-décembre. Étape majeure d’un parcours tout en cohérence, et cuisine classique réinterprétée dans les assiettes.
Du cœur de l’établissement, la future cuisine très lumineuse, on ne devine encore quasiment rien : le chantier a démarré le 5 octobre – un beau cadeau d’anniversaire pour le futur chef des lieux — et les travaux accomplis sont impressionnants, même s’il reste encore beaucoup à finir avant l’ouverture, prévue mi-décembre : mise en accessibilité, création de sorties de secours, isolation, nouvelle entrée depuis la placette extérieure, remplacement de tous les équipements de la cuisine, nouvelle décoration chaleureuse et contemporaine…
Un futur restaurant, sobrement baptisé « Julien Binz », est en train de prendre place dans les murs de l’ancienne table À l’arbre vert, à Ammerschwihr. « On y pensait depuis quelques années, mais au Rendez-vous de chasse, à Colmar, je me sentais bien » , commence Julien Binz, qui y était chef étoilé. Le changement de propriétaire, en 2014, et l’arrivée d’une nouvelle direction ont précipité le départ du jeune chef qui y a vu l’occasion de « se lancer ».
« Une belle lumière »
Auparavant, Julien Binz avait tracé son chemin d’une bonne table alsacienne à une autre, enchaînant les rencontres en un parcours cohérent depuis sa sortie de l’école hôtelière d’Illkirch en 1991 (lire l’encadré).
Après quelques mois passés à ficeler le projet du restaurant, semé d’imprévus assez contraignants, Julien Binz sera à nouveau derrière les fourneaux : les siens pour la première fois.
Alors qu’il cherchait un établissement à reprendre dans le Bas-Rhin, d’où il est originaire, lui et sa compagne – Sandrine Kauffer, responsable du blog Le journal de Julien Binz et associée sur ce projet — ont été séduits par les locaux de L’Arbre vert, alors fermés depuis plus d’un an : « Il y avait une belle lumière et on s’y sentait bien. »
Un coup de cœur qui se traduit par un investissement global de 600 000 €, les travaux ayant été supervisés par l’architecte d’intérieur Bernard Wilhelm, de Bischheim. S’appuyant sur une équipe de six personnes – trois en salle et trois en cuisine —, le restaurant aura une capacité de 40 couverts.
Évolutive et architecturée
Ici chez lui, Julien Binz entend continuer à faire « sa » cuisine qu’il qualifie de « tradition évolutive » : des classiques travaillés de manière contemporaine. La carte, volontairement restreinte, évoluera régulièrement mais on y retrouvera les incontournables qu’il cuisine de longue date, tel un bar servi avec du fenouil cru et cuit et une réduction de bouillabaisse, ou encore des escargots à la compotée de tomate et fenouil et émulsion de persil, présentés graphiquement sur assiette. « Chaque année, ces plats sont différents » , assure en souriant le chef qui s’essaie à de nouvelles textures.
Parmi ses produits favoris, le foie gras, le chevreuil et les noix de Saint-Jacques, à apprécier avec les vins sélectionnés par Pascal Leonetti, meilleur sommelier de France en 2006 et officiant à l’Auberge de l’Ill. Les amuse-bouches, à base de légumes, sont aussi une appétissante architecture, jouant sur le contraste des textures pour créer une expérience des papilles. Le foie gras poêlé est servi sur une déclinaison de maïs : polenta, pop-corn en poudre, glace et émulsion.
Et le filet de bar se pose sur une sauce au gingembre et au jus de carottes, surmonté de carottes découpées dans un taille-crayon… Deux plats que le cuisinier aime particulièrement préparer.
N’allez pas pour autant croire que Julien Binz est gourmand : « Pour être chef, il faut surtout être curieux. »
Du jeune talent à l’étoilé
Après des débuts au restaurant Aux Armes de France – devenu son voisin — dont il garde un bon souvenir, Julien Binz a intégré le restaurant strasbourgeois Le Buerehiesel comme chef de partie, vivant l’heureuse période de la conquête de la 3eétoile. Mais l’expérience tourne court avec l’appel du service militaire… passé au mess des officiers de Strasbourg.
Une expérience d’autant plus confortable qu’elle prend fin avant son terme. Julien Binz raconte avoir envoyé un seul CV, à l’Auberge de l’Ill. En retour, Paul Haeberlin l’avait alors appelé pour lui proposer un poste. « Mais c’était deux mois avant la fin de mon service. Quand je le lui ai dit, il m’a raccroché au nez. J’étais dévasté. » Une demi-heure plus tard, le chef étoilé d’Illhaeusern rappelait pour lui dire que tout était arrangé et qu’il commençait quelques jours plus tard.
« J’ai commencé comme commis de cuisine, tout en bas de l’échelle, comme le veut la maison. Jusqu’à devenir second de cuisine de Marc Haeberlin. » Encouragé par cette expérience enrichissante, Julien Binz ose alors prendre les commandes d’une petite auberge familiale dans le Ried, qui recherchait un chef. « C’était la première fois que je signais une carte en mon nom propre » , se souvient le chef en un large sourire encore fier, heureux de cette période qui l’a vu consacré « Jeune talent », puis « Espoir de l’année » par le Gault Millau en 2006 : « Je l’ai appris en lisant le journal à la fin de la journée ! »
L’écueil salvateur
Après un court passage au Château d’Isenbourg, l’expérience « étrange » d’un hôtel-restaurant-spa mort dans l’œuf se révèle riche d’enseignements humains : « C’est dans l’adversité qu’on trouve des ressources » , considère aujourd’hui Julien Binz. Car disponible de fait puisque sans emploi, le jeune chef rend service à son ami Philippe Bohrer qui vient de reprendre Le Crocodile à Strasbourg. « Me trouvant dans sa cuisine, Émile Jung a voulu savoir qui j’étais et m’a aussitôt parlé du Rendez-vous de chasse à Colmar qui cherchait un chef. Un chef de cuisine sans travail, ça n’existe pas, m’a-t-il dit. »
Le bon contact avec le patron, Richard Riehm, marque le début d’une nouvelle et belle aventure, puisqu’elle permet à Julien Binz de conquérir une étoile. « Je suis entré en mai 2010 avec pour mission de maintenir l’étoile, mais en mars2011, on l’a perdue. L’équipe s’est soudée et elle était restée la même quand on a récupéré l’étoile au Michelin en mars 2012. » Cette aventure-là a duré cinq ans, comme d’autres auparavant.